Divorce pour manquement au "devoir conjugal": la France condamnée par la CEDH
Une femme qui refuse des rapports sexuels à son mari ne doit pas être considérée par la justice comme "fautive" en cas de divorce, a tranché jeudi la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), qui a condamné la France.
La Cour a donné raison à la requérante, une Française de 69 ans dont le mari avait obtenu le divorce aux torts exclusifs de son épouse, au motif qu'elle avait cessé d'avoir des relations sexuelles avec lui depuis plusieurs années.
"J'espère que cette décision marquera un tournant dans la lutte pour les droits des femmes en France", a réagi celle-ci dans un communiqué transmis par l'une de ses deux avocates, Lilia Mhissen.
"Cette décision marque l'abolition du devoir conjugal et de la vision archaïque et canonique de la famille", a aussi salué Me Mhissen.
La Cour, qui siège à Strasbourg, a condamné la France pour violation de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, relatif au droit au respect de la vie privée et familiale.
Dans son arrêt, la CEDH rappelle que "tout acte sexuel non consenti est constitutif d'une forme de violence sexuelle".
Constatant que le refus de se soumettre au devoir conjugal peut, dans les conditions prévues à l'article 242 du code civil, être considéré comme une faute justifiant le prononcé du divorce, la Cour souligne que "l'existence même d'une telle obligation matrimoniale est à la fois contraire à la liberté sexuelle et au droit de disposer de son corps et à l'obligation positive de prévention qui pèse sur les États contractants en matière de lutte contre les violences domestiques et sexuelles".
"La Cour ne saurait admettre, comme le suggère le gouvernement, que le consentement au mariage emporte un consentement aux relations sexuelles futures. Une telle justification serait de nature à ôter au viol conjugal son caractère répréhensible", insiste la CEDH.
- "Vision archaïque de la famille" -
La requérante, qui souhaite conserver l'anonymat, avait demandé le divorce en 2012.
En juillet 2018, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Versailles avait estimé que le divorce ne pouvait pas être prononcé pour faute et que les problèmes de santé de l'épouse étaient de nature à justifier l'absence durable de sexualité au sein du couple.
Mais en 2019, la cour d'appel de Versailles avait prononcé le divorce aux torts exclusifs de l'épouse, retenant comme une "faute" son refus des "relations intimes avec son mari".
La requérante avait formé un pourvoi en cassation, qui avait été rejeté.
L'épouse avait saisi la CEDH en 2021, soutenue par le Collectif féministe contre le viol (CFCV) et la Fondation des femmes. "Il m'était impossible de l'accepter et d'en rester là", a-t-elle expliqué jeudi dans un communiqué.
"La décision de la Cour d'appel me condamnant était et est indigne d'une société civilisée car elle m'a refusé le droit de ne pas consentir à des relations sexuelles, me privant de ma liberté de décider de mon corps. Elle a conforté mon époux et tous les époux dans +un droit à imposer leur volonté+".
Se réjouissant de la décision de la CEDH, la sexagénaire, mère de quatre enfants, a estimé que "cette victoire est pour toutes les femmes qui comme moi, se retrouvent confrontées à des décisions judiciaires aberrantes et injustes, remettant en cause leur intégrité corporelle et leur droit à l'intimité".
L'une de ses avocates, Delphine Zoughebi a affirmé que "désormais, le mariage n'est plus une servitude sexuelle. Cette décision est d'autant plus fondamentale que près d'un viol sur deux est commis par le conjoint ou le concubin".
V.Bertemes--LiLuX