Ehpad privés: avant sa convocation par le gouvernement, Orpea révoque son patron
Au terme d'une semaine catastrophique pour Orpea, accusé de mauvaises pratiques dans la gestion de ses Ehpad, le groupe a tenté d'allumer un contre-feu en limogeant son directeur général, avant la convocation mardi de ses dirigeants par la ministre déléguée à l'Autonomie.
Le couperet est tombé dimanche soir pour Yves Le Masne: réuni le jour même, "le conseil d'administration du groupe Orpea a décidé de mettre fin aux fonctions de directeur général" qu'il exerçait depuis plus de dix ans.
Remercié "pour les 28 ans de sa vie passées au service du groupe", il est remplacé par Philippe Charrier, promu de président non exécutif à PDG "avec effet immédiat".
Un nouveau patron chargé de "garantir que les meilleures pratiques sont appliquées dans toute l'entreprise et de faire toute la lumière sur les allégations" qui ébranlent depuis une semaine le géant français des maisons de retraite - 1.156 établissements, plus de 116.000 lits dans 23 pays, indique le groupe dans un communiqué.
A l'origine de ces secousses, le livre-enquête "Les Fossoyeurs" du journaliste indépendant Victor Castanet décrit un système où les soins d'hygiène, la prise en charge médicale, voire les repas des résidents sont "rationnés" pour améliorer la rentabilité de l'entreprise. Et ce alors que les séjours sont facturés au prix fort.
- Vers plus de contrôles ? -
Avec le directeur d'Orpea France, Jean-Christophe Romersi, le nouveau PDG est attendu mardi matin dans le bureau de la ministre déléguée chargée de l'Autonomie des personnes âgées, Brigitte Bourguignon. La ministre a convoqué les deux dirigeants "pour les entendre sur les accusations étayées et d'une gravité exceptionnelle" contenues dans le livre, a-t-elle précisé sur Twitter. "Je souhaite que toute la lumière soit faite sur les faits signalés", a-t-elle ajouté.
De leur côté, l'agence régionale de santé (ARS) d'Ile-de-France et le conseil départemental des Hauts-de-Seine, qui financent chacun une partie de l'activité des Ehpad, ont mené vendredi une inspection de l'établissement "Les bords de Seine" à Neuilly, banlieue cossue de la capitale, où les mauvaises pratiques étaient monnaie courante selon l'enquête de Victor Castanet.
Le secteur des Ehpad privés dans son ensemble "n'a rien à cacher" et est même demandeur d'une multiplication des contrôles, a fait valoir lundi le Synerpa, principal syndicat des Ehpad privés.
"Cette crise met en avant la nécessité de revoir urgemment les systèmes de contrôle et d'évaluation de la qualité en Ehpad", a souligné lors d'un point presse Florence Arnaiz-Maumé, la déléguée générale du Synerpa. L'organisation professionnelle va par ailleurs se doter dans les prochaines semaines d'une commission d'élaboration d'une "charte éthique", a précisé cette responsable, pour qui les dysfonctionnements évoqués dans le livre, "s'ils sont avérés, sont condamnables".
- "Mesure de façade" -
Acculé, le groupe Orpea conteste en bloc les révélations, et a annoncé sa propre "mission indépendante d'évaluation", confiée à "deux cabinets de premier plan" - toujours "en cours de désignation".
La révocation de M. Le Masne "ne présage en rien que les accusations sont fondées", selon une source proche du groupe. "Nous attendons les résultats de l'enquête interne et de celles faites par les cabinets extérieurs pour avoir la possibilité de laver notre honneur et d'améliorer le système s'il y a eu des dysfonctionnements", ajoute cette source.
Le titre Orpea a fondu de moitié en Bourse la semaine dernière. Après avoir ouvert en hausse lundi matin, le titre a repiqué du nez et perdait 2,75% à la mi-journée, dans un marché en progression de 0,2%.
Pour Camille Lamarche, qui a été juriste pendant près d'un an chez Orpea en 2018 au service des ressources humaines et témoigne dans le livre de Victor Castanet, le limogeage du directeur est "une mesure de façade".
"La politique mise en place au sein de ces RH est une politique systématique et réfléchie qui permet de faire des économies au détriment des conditions de travail des salariés", affirme-t-elle lundi matin sur France Inter. "Les syndicats, la CGT surtout, sont la bête noire des RH", dont la direction a mis en place "un syndicat maison", le syndicat Arc-en-ciel.
O.P.Becker--LiLuX