Arabie saoudite: une militante dénonce "le silence imposé" aux dissidents
Une militante saoudienne des droits humains est apparue mercredi à distance lors d'un forum de l'ONU organisé en Arabie saoudite pour dénoncer le "silence imposé" aux dissidents dans le royaume du Golfe.
L'intervention de Lina al-Hathloul à l'Internet Governance Forum est une rare critique directe du prince héritier Mohammed ben Salmane, le dirigeant de facto du royaume, exprimée sur le sol saoudien et qualifiée par Human Rights Watch (HRW) d'"historique".
Les organisateurs ont ouvert le forum par une minute de silence en hommage aux opposants politiques "qui sont arbitrairement détenus" en Arabie saoudite et ailleurs au Moyen-Orient.
Une chaise vide a été placée à côté du modérateur, ainsi qu'un badge portant le nom de Mme Hathloul, actuellement à l'étranger. Cette chaise vide "est un symbole brutal du silence auquel sont confrontés tant d'entre nous", a déclaré Mme Hathloul par visioconférence.
Responsable de la communication de l'organisation de défense des droits humains ALQST, basée à Londres, cette militante suit de près la multiplication des exécutions de condamnés à mort en Arabie saoudite et les poursuites liées aux délits en ligne.
Dans le pays, "personne n'est en sécurité et même ce que l'on considère comme une critique légère peut devenir un crime", a-t-elle déclaré.
Mme Hathloul est la soeur de Loujain al-Hathloul, une militante qui a fait campagne pour que les femmes puissent conduire et pour mettre fin au système de tutelle en Arabie saoudite, qui oblige les femmes à obtenir l'autorisation de parents masculins pour de nombreuses démarches, comme voyager.
Arrêtée en mars 2018 aux Emirats arabes unis et envoyée de force en Arabie saoudite, Loujain al-Hathloul y a passé plus de deux ans derrière les barreaux. Mise en liberté surveillée en février 2021, il lui est interdit de quitter le royaume pendant cinq ans.
Lina al-Hathloul a fait allusion à l'interdiction de voyager. "J'avais espéré être parmi vous mais en raison de problèmes de sécurité et des interdictions de voyager illégales imposées à ma famille depuis 2018, cela reste impossible pour l'instant", a-t-elle déclaré.
L'Arabie saoudite tente d'adoucir son image par des réformes sociales, notamment en autorisant les femmes à conduire et en réintroduisant les cinémas.
Mais HRW a indiqué la semaine dernière que "des dizaines de personnes restent emprisonnées pour s'être exprimées pacifiquement en ligne" et nombre d'entre elles sont poursuivis en vertu d'une loi antiterroriste adoptée en 2017.
- Traité sur la cybercriminalité -
La monarchie saoudienne ne tolère pas l'opposition politique et restreint les activités des groupes de défense des droits humains locaux et étrangers.
Toutefois, dans le cadre des efforts déployés par le prince Mohammed pour soigner l'image du royaume sur la scène internationale, Ryad a accueilli coup sur coup deux réunions de grande envergure de l'ONU qui ont vu la participation de la société civile.
Début décembre, le royaume a accueilli la COP16, une conférence de l'ONU contre la désertification, qui a réuni 196 pays et l'Union européenne et a vu la participation de nombreux militants.
Cette semaine, des membres du personnel de HRW ont participé au forum. Il s'agit la première délégation officielle de l'organisation en Arabie saoudite depuis 2015.
Amnesty International a également envoyé sa toute première délégation dans le royaume.
Les travaux se sont concentrés mercredi sur un traité des Nations unies ciblant la cybercriminalité, le premier de ce type, que les Etats membres ont approuvé en août malgré l'opposition farouche des militants des droits humains qui ont mis en garde contre les dangers potentiels de la surveillance des contenus en ligne.
Les détracteurs du traité - une alliance inhabituelle de défenseurs des droits humains et de grandes entreprises technologiques - affirment que son champ d'application est beaucoup trop large et qu'il pourrait constituer un traité de "surveillance" mondial et être utilisé à des fins de répression.
Pour Lina al-Hathloul, l'Arabie saoudite est "un exemple édifiant" de la manière dont le traité pourrait favoriser la répression des opposants.
"La société civile ne peut plus s'exprimer en toute indépendance et ceux qui osent exprimer ce qui constitue pour les autorités des discours dissidents sont souvent réduits au silence par l'emprisonnement ou (par des méthodes) pires encore", a-t-elle affirmé.
Les autorités saoudiennes affirment que les poursuites décriées par les défenseurs des droits humains concernent des crimes liés au "terrorisme" et à la perturbation de l'ordre public.
V.Bertemes--LiLuX